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6 octobre 2012 6 06 /10 /octobre /2012 16:59

romeo-sepia

Roméo et Juliette - Enki Bilal

 

 

Chap7 - Fantasia -

 

 

 

 

 

 

Les volutes de vapeurs avaient envahi les lieux engloutissant tout ce qui l'entourait. La silhouette d'imposants candélabres se découpait au quatre coin de la pièce. Les entrelacs de fer forgé s'entrelaçaient dans une étreinte effilée dispensant une lumière vacillante.

 

Même nue et immobile au milieu de la pièce, sa peau se recouvrit de gouttelettes de sueurs. La chaleur l'enveloppait appuyant de toute son inconsistance sur sa poitrine rendant sa respiration plus difficile. L'air était épais presque étouffant. A chaque inspiration, elle le sentait descendre lentement jusqu'à ses poumons lui donnant l’impression de l’avaler plus que de le respirer.

 

Elle délaissa la coiffeuse pour se diriger vers la baignoire. Le sol était recouvert d'une fine pellicule de condensation mais il avait gardé sa fraicheur. Ses pieds glissaient douloureusement sur les pierres froides.

 

A chaque fois que ses orteils touchaient le sol et que le poids de son corps se déplaçait d'une jambe sur l'autre, elle émettait un petit grognement de souffrance. Ses muscles criaient misère à chaque sollicitation de sa part aussi infime était-elle. La douleur lui faisait redécouvrir la mécanique d'un corps en mouvement. A travers elle, elle pouvait suivre chaque étape de cet acte si simple et irréfléchi qu'était la marche. Cette pleine conscience de son corps lui donnait un sentiment, presque jouissif, de maîtrise absolue. Il ne demandait qu'à s'arrêter et s'effondrer et elle parvenait à l'obliger à se mouvoir malgré ses cris de protestation qui lui perforaient les jambes.

 

Parvenu au centre de la pièce, elle enjamba le rebord de la baignoire et se laissa glisser avec lenteur à l'intérieur. Des milliers d'aiguilles vinrent transpercer ses membres froids et endoloris qui accueillirent avec plaisir et douleur la morsure brûlante de l'eau. Elle tendit la main vers un fauteuil sur lequel était pliée une petite serviette et la glissa sous sa nuque afin de compenser l'inconfort du rebord en métal.

 

Elle savoura de longue minute ce moment de calme avant de saisir éponge et bloc de savon. La mousse était douce et agréable au toucher. Elle se lava avec une méticulosité excessive, décomposant et amplifiant chacun de ses gestes, frottant chaque parcelle de peau avec une lenteur calculée. Elle se concentra sur cette tache simple et concrète jusqu'à total abstraction de toutes autres pensées. A la fin de ce petit cérémonial, l'esprit libéré de ses angoisses, elle se laissa porter par le silence. Elle n’était plus qu’une enveloppe vide flottant dans un univers ouaté. 


A travers ses paupières mi-clauses, elle devinait le halo vacillant des bougies. Au milieu de ce monde d’ombre et de brume, elle avait  l’impression d’avoir embarqué sur un vaisseau fantôme. Elle s’attendait presque à voir se dessiner, sur le miroir embué, le visage d’un démon grimaçant. Cette peur enfantine la fit sourire, elle savait où était le corps agonisant du démon et elle savait également où se trouvaient les autres. Tout près, on ne peut peu plus près, prisonniers envahissants et mortifères de son cerveau fiévreux. 

Elle commença à sonder ses souvenirs en commençant par les moins délétères pour arriver jusqu'aux plus anxiogènes. L'opération était délicate et risquée mais nécessaire. Elle ne chercha pas à les analyser. Elle les laissa dériver sans essayer de leur donner sens. Elle les accepta pour ce qu'ils étaient: les éléments d'un tout certes hors norme et terrifiant mais cohérent et faisant partie de sa réalité.

 

Ils flottèrent en elle comme des bulles de savons, chacun contenant une parcelle de son histoire. Peu à peu ils se replacèrent d'eux même, s'imbriquant les uns dans les autres jusqu'à retracer le fil des événements. Elle les observa, les soupesa, les examina. Cette analyse la conduisit à une constatation simple et indéniable: dès leur 1ere rencontre elle avait perçue le danger et elle en avait fait fi.

 

Sa manière d'humer l'air, la convoitise dans ses yeux, la satisfaction perverse de son rictus, la contraction de ses doigts. Il ne l'avait pas examiné comme un homme ordinaire appréhende une femme: sein, fesse, visage, intérêt sexuel, indifférence, dégoût mais comme un gourmet se délectant par avance. Lorsqu'il s'était approché d'elle, elle s'était presque attendue à ce qu'il lui lèche la joue pour la goûter.

 

La dureté et la cruauté se dégageant de lui auraient dû l'inquiéter mais quelque chose avait fait écho en elle. Même maintenant elle ne pouvait définir l'origine de son trouble mais il était bien réel et suffisamment puissant pour annihiler son instinct de survie.

 

Elle avait aimé sentir le poids de son regard sur son visage. Son inquisition froide et minutieuse ne l'avait pas dérangé. Elle n'avait rien fait pour se rendre acceptable. Elle lui avait soumis un visage de marbre, sans fard. Dans une sorte de plaisir pervers, elle avait eu envie qu'il voit chaque rides, chaque imperfections, qu'il ait conscience de ce qu'elle était et surtout de ce qu'elle n'était pas. La vérité brute dans toute sa splendeur et dans toute sa laideur.

 

Paradoxalement l'intensité de cette rencontre, au lieu de s'imprimer dans sa mémoire, s'était vue refoulé au plus profond de son inconscient. L'incongruité et la dangerosité de cette attirance lui avait valu cette fin de non recevoir. Cependant elle avait toujours été là, suffisamment présente pour lui faire changer ses habitudes dans l'espoir de recroiser sa route.

 

Là, dans ce monde fantasmagorique qu’elle avait créé comme un écrin à ses réminiscences morbides, elle retraça le déroulement de leur seconde rencontre. Ses pensées s’arrêtèrent sur la sensation bestiale et viscérale qui l'avait envahi quand sa langue avait franchi ses lèvres. A ce rappel une bouffée de chaleur l'irradia. Même la terreur extrême de cette nuit de cauchemar ne parvenait pas à entacher se souvenir et cela l'effrayait bien plus que la noirceur de son âme.

 

Elle resserra ses cuisses et les pressa l'une contre l'autre dans un mouvement ondulatoire du bassin qui fit remonter le feu de son ventre jusqu'à ses joues qui s'empourprèrent. Cette simple pression lui arracha un gémissement. Elle laissa ses doigts glisser le long de ses seins jusqu'à son bas ventre.

 

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