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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 12:27

 

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Léché à l'aveugle - Enki Bilal

 

                           
 

 

 

 

Chap 10: When a blind man cries

 

 

Had a friend once in a room,
Had a good time but it ended much too soon.
In a cold month in that room
we found a reason for the things we had to do.
I'm a blind man, I'm a blind man,

now my room is cold.
When a blind man cries,

Lord, you know he feels it from his soul...

 

 

 

      Un point lumineux se détachait sur l'horizon. Cette Apparition le pétrifia. Il ressentit cette intrusion comme une agression. Il aurait voulu la voire disparaître, l'effacer de son champ de vision. Il ne voulait pas de sa présence et de ce qu'elle impliquait. Depuis quelques mois, il vivait dans une chimère et il ne voulait pas se réveiller. Il avait presque réussi à oublier le monde extérieur dans le creux de ses reins. Dilué dans ses yeux et son sourire. Et ce soir, ce feu le ramenait vers une réalité qu'il ne voulait pas. Au même moment, il sentit sa présence derrière lui. Elle regardait dans la même direction. Son visage s'était durcit et il n'aimait pas ce qu'il y voyait. Son regard était vide de toutes émotions. Il avait presque oublié cette froideur en elle. Cette dichotomie entre la femme qu'il connaissait et celle qu'elle était à cet instant le déconcertait. Froide et implacable. Il lui caressa la joue espérant ramener un peu d'humanité dans ses yeux. Au contact de sa main ses traits retrouvèrent toute leur douceur. Il la fit pivoter pour l'obliger à tourner le dos au promontoire. Elle se laissa faire, semblant elle aussi vouloir fuir la présence du feu. Elle posa sa joue au creux de sa main et se blottit contre lui. Elle fini par l'entraîner à l'intérieur. Il la suivit, priant pour que le feu ait disparu à leur réveil.

Le froid le réveilla. Elle n'était plus là. Il se leva et se dirigea vers la cuisine espérant l'y trouver. Personne. Il retourna dans la chambre et s'habilla en hâte. Il descendit jusqu'à l'armurerie. Son épée et son arbalète n'y étaient plus. Il couru jusqu'aux écuries sachant pertinemment que son cheval n'y serait pas non plus. Il sella le sien. Il savait où elle était allée. Chaque soir depuis trois jours, le feu réapparaissait. Petite chose insolente qui les narguait. Aucun d'eux n'avaient abordé le sujet mais tous les soirs elle vérifiait sa présence et partait là bas. Il connaissait le rituel, comprenait ses motivations mais il ne pouvait rester ici à l'attendre sans rien faire.

Elle descendait de cheval. Talonnant le sien de plus belle, il lui coupa la route. Ne prenant pas le temps de stopper sa monture, il sauta à terre et se planta devant elle. Il posa la main sur son arbalète. Il s'attendait à une réaction violente de sa part. Au lieu de cela elle déposa délicatement sa main sur la sienne entrelaçant leurs doigts. Ils restèrent quelques instant ainsi, savourant le contact de leurs peaux. Elle raffermit sa prise et souleva sa main jusqu'à son visage. Du bout des lèvres elle effleura sa paume. Ses gestes et son regard étaient empreint d'une mélancolie qu'il ne lui connaissait pas. Il la laissa passer.
 
Elle n'avait jamais ressentie de culpabilité. Elle défendait son territoire des intrus indésirables comme n'importe quel animal. Sauf que dans son cas, la plupart du temps, ses congénères étaient trop stupides pour fuir aux premiers signes de mise en garde et persistaient jusqu'à la mort. Mais ce soir elle redoutait les conséquences de son acte. Elle resta longtemps assise dans la neige n'osant pas retourner à son cheval. Elle avait peur de ce qu'elle trouverait ou plutôt ne trouverait pas.

Elle fini par se lever. Chaque pas lui coûtait. En haut de la crête elle s'arrêta. Encore un pas.

Quelque chose en elle se décrocha et tomba au plus profond de son être. Un creux dans le coeur. Un creux dans le ventre. Elle reprit sa marche. Son cheval henni à son approche. Elle lui caressa la joue maintenant son museau contre son épaule. Le souffle chaud de l'animal, dans son cou, lui fit du bien. Elle resta de longues minutes ainsi, aspirant la chaleur de l'animal, laissant libre court à ses larmes.  Elle rentra à pied coller à l'encolure de sa monture, des sillons de sel lui barrant les joues. Elle avait froid ...

A l'entrée des écuries ce même creux à l'estomac. Elle avait espéré. Tout le long du chemin elle avait espéré. Ralentissant le pas, repoussant le moment de vérité. Tant qu'elle était là à marcher, elle pouvait y croire. Mais il n'était pas là. Parti. Définitivement. Irrémédiablement. La parenthèse c'était refermée. Sans bruit sans heurt. Conclusion d'une passion fugace et gracile. Ce soir elle avait perdu plus qu'un amant, un ami. Tout était de sa faute, elle l'avait invité à rester, elle l'avait invité à partir. 


     

 

 

 

 

 


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