Léché à l'Aveugle - Enki Bilal
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Elle avait pris ses quartiers dans des grottes à flanc de montagne. Elle y accédait en empruntant un long tunnel qui perçait le glacier jusqu'à l'entrée d'un réseau de grottes. A certain endroit la glace était si fine et translucide que l'on pouvait voir l'eau du glacier s'écouler. Lorsque que le soleil effleurait la glace, le spectacle était féerique.
Elle avait choisi cet endroit pour deux raisons. La première était qu'il se situait à l'entrée de la chaîne montagneuse. A ses pieds finissaient les vallons et commençait la plaine de glace. Elle était donc proche des zones de chasse et suffisamment en retrait pour surveiller son territoire. La seconde était qu'une source chaude la parcourait, maintenant une température de 15°C dans les parties les plus éloignées de la source principale et de 30°C dans la partie centrale.
A la sortie du tunnel, elle avait installé les écuries et les réserves. Une galerie remontait à l'intérieur de la montagne jusqu'à ses appartements. Ils étaient constitués de 3 grottes en enfilade: l'armurerie, les cuisines et la plus grande qui lui servait à la fois de salon et de chambre. Les meubles étaient peu nombreux. L'ensemble dégageait une impression de confort et de chaleur. Elle avait réussit à faire disparaître toute sensation de froid grâce au choix des matières et des couleurs. Des tapis épais jonchaient le sol et des tentures recouvraient les parois. Le bleu glace, le blanc et l'argent dominaient mais des touches d'ocres, de rouge et de mordoré venaient réchauffer l'ensemble. Grâce à des lampes dissimulées dans les interstices du roc, elle avait créé des jeux d'ombre qui adoucissaient la dureté de la pierre et des miroirs lui permettaient de faire pénétrer la lumière du jour à l'intérieur.
Sa chambre s'ouvrait sur une terrasse. De ce promontoire, elle avait une vue imprenable sur la vallée. Elle pouvait voire un feu à des dizaines de kilomètres. Lors des tempêtes et des blizzards, elle en condamnait l'accès par des panneaux de bois. Le reste du temps elle les laissait ouvert. La forme en entonnoir de la grotte et le ruisseau d'eau chaude qui coulait juste à l'entrée empêchait le froid de pénétrer à l'intérieur. Un pont de roche faisait le lien entre grotte et terrasse. En détournant le cours du ruisseau, elle avait aménagé une sorte de jaccuzi extérieur. Elle s'y baignait à la nuit tombée. Enfermé dans une bulle de chaleur au milieu d'un désert de glace. Le mélange des sensations était un pur plaisir. Elle s'abandonnait totalement, les yeux perdus dans les étoiles. Le silence berçant ses rêveries. Un sourire de contentement se dessinait alors sur ses lèvres. Enfin seul, loin du monde.
Lorsqu'elle avait pénétré dans la grotte principale, elle avait tout de suite compris son potentiel. La température élevée, la hauteur de plafond et le puits de lumière naturel qui l'éclairait en faisait un lieu idéal pour créer un jardin. Elle avait fait déplanter les arbres et les plantes de son ancienne demeure pour en garnir son nouveau jardin. Il lui avait fallu beaucoup de temps et d'effort pour les transporter et les replanter. De nombreuses plantes ne supportèrent pas le voyage ou leur nouvel environnement mais au final le résultat était somptueux. Un oasis de verdure au milieu des neiges éternelles.
Un corridor reliait sa chambre au jardin, la voûte en ogive et l'entrelacement des stalactites et des stalagmites lui rappelaient les églises de son enfance. Elle adorait s'y réfugier quand le blizzard la bloquait plusieurs jours à l'intérieur. Faire une sieste sous un arbre, marcher pied nu dans l'herbe tendre avait toujours été des petits plaisirs qui lui réjouissaient le coeur.
La rudesse du climat et la solitude des lieux convenaient parfaitement à son tempérament. Sa vie était devenu simple et ses plaisirs aussi. Partir au triple galop et sentir le vent lui cingler le visage, les joues en feu, le coeur palpitant. L'air froid la revigorait. Elle le sentait pénétrer dans ses poumons, courir dans ses veines. Jamais elle n'avait été plus vivante, plus consciente de son corps. De sa force mais aussi de sa fragilité. Chaque fois qu'elle sortait, elle s 'émerveillait des paysages. Le craquement de ses pas dans la neige vierge la rendait joyeuse comme une enfant. Elle marchait en donnant de grand coup de pied créant un fin nuage de flocons qui venaient mourir sur son visage. Elle aimait sa nouvelle vie.
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